« Rappelle-toi de la liberté que tu ressens quand tu te rends compte que maintenant tu peux faire ce que tu t’interdisais parce que c’était réservé aux garçons »
J’ai réussi à briser une partie des barrières que j’avais construites au long de ma vie. En comprenant que je suis légitime, que je suis né comme ça, je me suis donné le droit d’être moi-même, peu importe si mes goûts ne conviennent pas aux autres et à leurs attentes. Je porte les cheveux courts car c’est comme ça que je me reconnais le mieux, et que je trouve ça plus pratique. Je les laisse mener leur vie sans les astreindre à des crèmes, du gel ou que sais-je. Eux aussi vivent leur vie en toute liberté.
Je vais acheter des vêtements au rayon garçon la plupart du temps parce que c’est ce que j’aime porter, je ne me force plus à devenir un rond, je suis fier d’être une pyramide.
Mais avant de réussir à faire tout ça, le chemin entre la révélation et l’acceptation a été long. Je l’ai dit, il n’y a aucune personne non-binaire dans mon entourage, ou alors je ne suis pas au courant. Je n’avais jamais vu de personne non-binaire dans un film, dans un livre, parler à la télé. Je n’avais jamais vu de personne non-binaire être acteurice, auteurice, pompier·e, professeur·e. J’ai grandi sans représentations, il n’y a qu’un seul endroit où j’ai pu les trouver : internet.
Les réseaux sociaux ont été ma première source de repère, un nid où j’ai pu écouter, voir et lire des personnes qui ressentent les mêmes choses que moi. Certains comptes militants m’ont montré les difficultés qu’iels avaient au quotidien, leurs luttes et engagements ; d’autres propageaient surtout des bonnes ondes, des messages qui font sourire, comme cette nuit, quand j’ai lu « Tu es légitime » apparaître sur mon écran.
Il m’a fallu du temps pour accepter que j’étais transgenre non-binaire, en encore plus pour faire mes premiers coming out. Mon copain a été le premier au courant, il m’a soutenu et a essayé de comprendre, m’a fait des câlins pendant certaines crises de dysphorie où j’en avais besoin. Il m’a montré que je pouvais être aimé pour qui j’étais et ça a rendu les choses beaucoup plus simples, ou du moins ça a empêché les choses d’empirer.
J’ai appris que dans la vie, on ne faisait pas qu’un coming out, comme on voit dans les films. Pas de « papa, maman, j’ai un truc à vous dire » dans le salon. J’ai fait une grosse conversation avec mes meilleurs amis pour leur annoncer, la plupart a été super. Je connais la majorité de mes amis depuis le lycée et il se trouve qu’aujourd’hui ils font presque tous partie de la communauté LGBT+.
Certains n’ont pas très bien compris ce que je leur disais. Ils n’utilisaient pas les pronoms que je leur avais donné. J’ai dû refaire le point avec eux et ça m’a coûté de l’énergie. D’autres ont été maladroits parce qu’ils étaient mal à l’aise. Un de mes amis a dit un jour « Ah oui, c’est toi là le truc asexuel ». Cool. C’est la seule fois où il a tenu des propos de ce style. Il n’est toujours pas à l’aise mais il reste un de mes meilleurs amis, même s’il ne me comprend pas, il m’écoute, on passe de bons moments ensemble.
Avec d’autres, j’ai dû m’éloigner. Ils tenaient des propos problématiques en soirée que je ne pouvais plus supporter. Ils ne me manquent pas aujourd’hui.
Après mon coming out, j’avais besoin de parler de ce sujet en soirée, notamment avec mon amie qui est transgenre aussi. Elle comprenait une partie de ce que je ressentais et on a souvent été très proches. Ce qui a été difficile, c’est que certains amis nous ont reproché de ne parler que de ça. Ils ne comprenaient pas que c’était important pour moi, que j’en avais besoin. J’ai été très en colère pendant un moment. Tout ce chemin parcouru pour qu’on me dise « OK bah maintenant que t’as trouvé qui tu étais, t’es en paix avec toi-même donc l’histoire est finie ». C’était injuste.
J’ai l’impression que les personnes cisgenres ne comprennent pas ce que je ressens, et ce n’est pas grave en soit, tant qu’elles respectent mes pronoms, ma personne et qu’elles ne m’empêchent pas d’en parler si j’en ai besoin.
Les réactions de ma mère et de mes sœurs à mon coming out ont été super. Je ne leur ai pas demandé de changer mes pronoms ou mon prénom, je voulais juste qu’elles sachent. Elles m’ont dit que je pouvais faire ce que je voulais, que mon bonheur était la priorité. La première de mes sœurs qui a accouché m’a demandé comment je voulais qu’elle me présente à mon neveu tout juste né. Tata ? Tonton ? Un autre mot ? J’ai été tellement touché. C’est une précieuse alliée et j’ai l’impression que c’est la personne cisgenre qui me comprend et me soutien le plus. Mon autre sœur m’a récemment demandé si je voulais changer mes pronoms et elle utilise parfois le masculin pour me genrer en voyant que je le fais. Elle utilise la plupart du temps le surnom qu’elle me donne depuis que je suis enfant plutôt que mon prénom de naissance.
Nous discutons aussi beaucoup de ces questions avec ma mère, qui me pose des tas de questions, s’informe toujours avec bienveillance et maintient son rôle de maman en me mettant en garde et en me disant de faire attention. J’ai une chance énorme d’avoir un entourage si merveilleux, je ressens une profonde gratitude à chaque fois que j’y pense.
Un jour, je suis tombé sur le réseau social d’une autrice queer et j’ai eu une seconde révélation. Je pouvais être non-binaire et écrivain, bibliothécaire, pompier, professeur… Mon genre ne définissait pas mes possibilités d’avenir. Pourquoi est-ce que j’avais du mal à le comprendre avant ?
Parce que dans tous les films que j’avais vus, les personnes transgenres étaient tristes, en souffrance, en dépression, faisaient des tentatives de suicide. Je n’avais jamais vu de films ou lu de livre dans lesquels les personnes trans sont heureuses et bien dans leur peau. Les personnes trans passent par des problématiques et des difficultés que n’ont pas les personnes cisgenres, c’est indéniable. Mais les films que j’ai vus ne parlent pas de l’euphorie de genre, ces moments incroyables où on se reconnait enfin dans le miroir, où notre nouveau prénom est utilisé par une personne qu’on aime, où on nous genre correctement. Ces moments sont forts, bénéfiques, procurent chez moi des sentiments aussi extrêmes que les crises de dysphorie.
S’affranchir des codes et des stéréotypes de genre, créer sa propre identité sans avoir de références et de modèles pour se construire a été difficile. Mais aujourd’hui, à 24 ans, je me reconnais enfin dans le miroir.
Les émotions affluent, les larmes coulent sur mon visage. Je griffonne au crayon de bois, en bas de la double page grisée de souvenirs :
TU PEUX FAIRE TOUT CE QUE TU VEUX, ÊTRE QUI TU VEUX, PORTER LES VÊTEMENTS QUE TU VEUX, AIMER QUI TU VEUX
TRANS IS BEAUTIFUL
NON BINARY IS BEAUTIFUL
YOU ARE BEAUTIFUL
PRIDE AND FREEDOM
& FUCK THEM ALL
Léo
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