J’ai déjà fait un bon bout de chemin en un an. Pourtant il est loin d’être terminé. Certains questionnements sont toujours les mêmes : quel prénom et quels pronoms utiliser au quotidien dans les différentes sphères au sein desquelles j’évolue ? De quoi ai-je envie, au fond ? Est-ce que je vais réussir à accepter mon corps tel qu’il est ou est-ce que je vais décider d’avoir recours à la chirurgie pour pouvoir me balader torse nu l’été ?
J’ai toujours la sensation, par moment, d’être un peu bizarre, que le monde n’est pas fait pour moi et pour les personnes transgenres de manière générale. Nos identités sont médicalisées. Pour avoir des informations actuelles et sûres, j’ai pris rendez-vous chez un psychiatre. Comme si j’étais malade. Sauf que je ne le suis pas. C’est la société, peut-être, qui devrait se soigner pour permettre à quiconque d’être soi-même.
Même la langue française, que j’aime profondément et qui est un de mes principaux outils de travail peine à reconnaitre mon existence. Pour me sentir à ma place, je rêve d’un genre neutre dans le langage, sur les cartes d’identité, sur les questionnaires en ligne, sur les portes des toilettes publiques. Je rêve d’un monde vraiment inclusif dans lequel j’aurais pleinement ma place, je serais reconnu comme un être humain et il serait facile d’entrer dans une boutique et de parler sans être oppressé par les formules de politesse.
Heureusement, la parole se libère. On parle de plus en plus de non-binarité même si ça fait encore rire les gens. La première fois que j’ai entendu le mot non-binaire, c’était dans une vidéo qui a fait le tour du pays, une émission de télé dans laquelle une personne avec de la barbe disait au présentateur « Je ne vois pas ce qui vous fait dire que je suis un homme. » Internet en a fait des remix humoristiques en images et en vidéos.
Et que faire lorsqu’on voit des célébrités tenir des propos discriminants, sexistes, grossophobes, transphobes en toute impunité ? Certaines personnes ont une influence gigantesque et se permettent de dire des immondices sur les plateaux télé, à la radio, sur les réseaux sociaux. Les personnes concernées et leurs alliés s’insurgent, mais nous avons besoin de plus que ça. Nous avons besoin que les plus hauts placés nous montrent que ces propos ne sont pas tolérés.
Sur d’autres terrains, des choses se mettent en place. Il est facile d’acheter un binder sur le web pour compresser sa poitrine et avoir un torse plutôt plat, des marques ont compris que certains hommes et personnes non-binaires ont leurs règles et vendent maintenant des boxers menstruels. Les groupes de parole en non-mixité nous permettent de nous retrouver, de discuter, de se comprendre. Grâce à l’ALD, nous avons droit à un remboursement très intéressant de nos frais médicaux. Oui, les choses avancent.
Dans la littérature aussi, et dans les films. On commence à voir de bonnes représentations émerger, enfin, faites par des personnes concernées, jouées par des acteurices concerné·e·x. C’est pour ça que je suis devenu auteur. Je veux offrir aux gens des histoires avec des personnages queer forts, heureux, où leurs identités ne sont pas forcément au centre de l’intrigue principale. Je voudrais proposer des livres que j’aurais aimé lire quand j’étais ado. Si j’avais lu des romans avec des personnages non-binaires, peut-être que j’aurais compris bien plus tôt. Peut-être qu’il aurait été plus facile de me rendre compte que je suis normal, que je suis seulement moi.
Une fois que j’aurais réglé mes derniers questionnements, je pourrais enfin m’éloigner de mon identité. Car je suis non-binaire, je suis transgenre, mais pas que. Je suis aussi une personne créative qui aime écrire, peindre, coudre. Je suis quelqu’un qui a des préoccupations environnementales, de déconsommation, de zéro déchet. Je suis une personne qui adore en rencontrer de nouvelles, faire des blagues (nulles), aller au cinéma et enrichir le spectre de mes connaissances autour d’un verre de jus de fruit. Je suis tellement d’autres choses que mon genre. J’ai hâte d’arriver à la fin de ma transition, que les choses soient plus claires dans ma tête et que je puisse m’affranchir des étiquettes pour évoluer librement loin de ces interrogations identitaires. J’ai hâte que mon identité ne soit plus une tâche de fond dans ma tête comme c’est le cas depuis un an.
Car je sais que je suis non-binaire, mais je sais aussi que je suis bien plus que ça. Je suis moi, et c’est tout ce qui compte.
Chapitre 6